Publié le : 03/05/2016 10:49:26
Du fait des progrès technologiques des dernières années et au vu des études existantes, une part bien plus importante d’actes chirurgicaux pourraient être réalisés en ambulatoire : c’est le message que portent les chirurgiens vasculaires. Ces spécialistes des maladies des artères et des veines appellent à lever les freins et changer les mentalités, pour que cette prise en charge se développe dans leur discipline, en accord avec la volonté des patients et celle des pouvoirs publics.
Malgré les avancées récentes, la France peine à combler son retard sur les autres pays occidentaux en matière de chirurgie ambulatoire. En 2014, le taux de sorties le jour même de l’intervention chirurgicale atteignait environ 45 % [i]. Or, on estime que 80 % de tous les actes chirurgicaux réalisés en France, en dehors des urgences, pourraient l’être en ambulatoire [ii]. La chirurgie ambulatoire doit être une chirurgie de haute qualité et privilégier les techniques moins invasives. Moyennant des critères d’éligibilité très stricts (état clinique stable, consentement éclairé, résidence à moins d’une heure de l’hôpital, présence d’un proche…), elle permet aux patients de retrouver plus rapidement leur domicile, ce qu’une majorité d’entre eux souhaitent. La réduction des durées de séjour contribue aussi à la diminution des risques d’infections nosocomiales et à la maîtrise des dépenses de santé.
La chirurgie vasculaire, cas d’école pour l’ambulatoire
Devenue majoritaire pour certains actes chirurgicaux (cataracte, chirurgie de la main, circoncision, méniscectomie…[iii]), la prise en charge ambulatoire reste très insuffisamment développée dans d’autres domaines. La chirurgie vasculaire fournit un excellent exemple de cette situation contrastée. Cette spécialité s’occupe du traitement chirurgical et endovasculaire des maladies des artères et des veines (hors cœur et cerveau) comme l’artérite, les varices, la sténose carotidienne ou l’anévrisme de l’aorte abdominale.
« Le traitement des varices a bénéficié des mesures mises en place pour favoriser le développement de l’ambulatoire à partir de 2004-2005, explique le Dr Philippe Nicolini, chirurgien vasculaire à la clinique du Parc à Lyon. Le taux d’ambulatoire est passé de moins de 60 % en 2010 à 76 % en 2015, avec pour objectif de dépasser les 80 % en 2016, quand d’autres pays dépassent déjà les 95 %... La mise sous accord préalable dès 2008 a contribué au rattrapage de la France, de même que la prise en charge de l’acte de radiofréquence par l’assurance maladie depuis le 1er avril 2015. L’avènement des techniques de destruction thermique percutanée sous contrôle échoguidé ouvre une nouvelle ère. Le traitement endoveineux de l’insuffisance veineuse superficielle est une révolution culturelle qui entraîne une modification radicale de la prise en charge des patients. Il nécessite une adaptation rapide des chirurgiens vasculaires et des établissements de soins, sans freins des autorités de tutelles, dans l’intérêt des patients et de la collectivité », estime-t-il.
Le traitement de l’artériopathie des membres inférieurs en ambulatoire concerne, lui, moins de 2 % des interventions [iv]. Pourtant, le développement des techniques endovasculaires, nettement moins invasives que la chirurgie conventionnelle, permet de réduire le temps d’hospitalisation à une seule journée.
« Le traitement endovasculaire artériel en ambulatoire est la pratique de routine dans beaucoup de pays : 80 % aux USA, 70 % en Allemagne, mais moins de 2 % en France, alors qu'il a montré ses bénéfices pour le patient et pour l’économie de santé [v] », rappelle ainsi le Pr Yves Alimi, chef du service de chirurgie vasculaire, CHU Nord Marseille. Il évoque une étude menée dans son service de janvier 2009 à décembre 2014, sur 126 patients atteints de lésions artérielles et éligibles au traitement endovasculaire en ambulatoire. Le taux de succès technique était de 96 %, avec seulement cinq hospitalisations supérieures ou égales à 24 heures et aucune réintervention à 24 heures ni dans le mois suivant l’opération.
« Le fait que la lésion soit simple ou compliquée ne conditionne pas la faisabilité d’une chirurgie artérielle ambulatoire. Les études montrent qu’on peut intervenir de façons sûre sur tous types de lésions artérielles en ambulatoire, à partir du moment où les critères d’éligibilité anatomiques, l’état clinique du patient et des critères sociaux liés au patient le permettent », indique pour sa part le Pr Yann Gouëffic, chef du service de chirurgie vasculaire au CHU de Nantes. Un frein vient en revanche du manque d’études. Mais celles qui existent plaident en faveur de l’ambulatoire pour l’angioplastie des artères des membres inférieures. Une étude prospective monocentrique de 2006 (Akopian, J Vasc Surg, 2006) montre un taux de succès en ambulatoire de plus de 90 % à 30 jours sur des patients claudicants. Une autre étude (Albert, Ann Vasc Surg, 2014), réalisée au CHU de Nantes, obtient près de 98 % de succès.
Preuve de l’engagement des chirurgiens vasculaires à produire davantage de données pour soutenir la croissance de l’ambulatoire dans leur spécialité, l’étude médico-économique multicentrique randomisée française Ambuvasc a débuté en février 2016. Elle vise à comparer, chez des patients atteints d’artériopathie périphérique, le rapport coût/ bénéfice entre l’hospitalisation conventionnelle et la prise en charge ambulatoire. Actuellement, près de 20 patients sont inclus dans cette étude qui doit à terme compter 160 inclus.
« Des réticences existent encore, reconnaît le Dr Jean Sabatier, chirurgien vasculaire à la Clinique de l’Europe (Rouen) et secrétaire général de la Société de chirurgie vasculaire et endovasculaire (SCVE), mais elles devraient être levées par les études en cours et les recommandations des sociétés savantes qui en découleront », estime-t-il.
Des travaux récents montrent que l’ambulatoire pourrait même se développer de manière efficace et sûre pour le traitement de pathologies où cela n’aurait pas semblé possible il y a seulement quelques années. Ainsi, plus d’un tiers des patients atteints de sténoses carotidiennes pourraient être traités en ambulatoire [vi]. De même pour les patients atteints d’un anévrisme de l’aorte abdominale [vii].
« Avec le traitement endovasculaire de l’anévrisme de l’aorte abdominale, à savoir la mise en place, par voie fémorale, d’une prothèse armée d’un stent pour traiter l’anévrisme par l’intérieur, la morbi-mortalité est réduite par rapport à une chirurgie ouverte. Si bien que ce traitement n’est plus réservé aux patients à haut risque chirurgical. Il s’est étendu à 70 % des interventions dans les pays occidentaux », indique le Dr Philippe Chatelard, chirurgien vasculaire à Lyon (clinique Saint-Charles). « Les durées de séjour ont ainsi baissé, atteignant moins de trois jours en moyenne. Les études ont montré que les complications au niveau de la ponction fémorale étaient les mêmes qu’en chirurgie conventionnelle, ce qui permet techniquement d’envisager une chirurgie ambulatoire. On estime aujourd’hui que 30 à 40 % des patients porteurs d’anévrismes de l’aorte abdominale remplissent les critères anatomiques et cliniques pour y être éligibles », poursuit-il[viii].
Pour le Pr Ludovic Berger, chef du service de chirurgie vasculaire du CHU Caen Côte de Nacre, davantage de sténoses carotidiennes pourraient être opérées en ambulatoire en France. « C’est un geste bien protocolisé, réalisé depuis plus de trente ans et qui donne de très bons résultats, notamment avec l’arrivée de nouveaux traitements médicaux, souligne-t-il. Dans quasiment 100 % des cas, les complications interviennent dans les huit premières heures après l’intervention. Tous ces éléments vont dans le sens d'une réduction de la durée de séjour voire d’une sortie dans la journée. » La sortie précoce après cette intervention est devenue la routine au CHU de Caen, ou une revue de 502 patients menée de 2000 à 2007 montre un taux de complications de seulement 1,2 % après sortie à J1. « Cette chirurgie carotidienne peut être réalisée en ambulatoire pour au moins un tiers des patients. À nous de bien sélectionner les patients éligibles à ce type de geste, de bien informer les patients et d’adapter l’organisation du service en conséquence. Quand le patient est inquiet, l’étape intermédiaire peut être l’utilisation de l’hôtel attenant au CHU », complète le Pr Berger.
Pour que la chirurgie vasculaire ambulatoire puisse se déployer harmonieusement dans tous les territoires, il faut que la nomenclature s’adapte aux pratiques innovantes et que les technologies adéquates (salles hybrides, matériels plus petits donc moins invasif, dispositifs de fermeture percutanée…) puissent se diffuser, via une prise en charge financière adéquate.
Les incohérences des forfaits hospitaliers expliquent pourquoi l’endovasculaire artériel en ambulatoire demeure balbutiant, avec moins de 2 % des actes de stenting iliaque et fémoral en 2014.
Par ailleurs, en dépit d’une forte incitation financière au « tout ambu », la mauvaise adaptation du libellé des actes ambulatoires freine encore leur développement en chirurgie des abords d’hémodialyse. Celle-ci se prête pourtant particulièrement à une hospitalisation courte. « La chirurgie de l’abord vasculaire recouvre une grande variété d’interventions, dont beaucoup, 70 à 80 %, sont accessibles à l’ambulatoire. Trois sont même des gestes marqueurs : la pose de cathéter vasculaire pour circulation extracorporelle, la création d’un accès vasculaire artérioveineux(AVAV) et l’exérèse d’un AVAV. Il faut réduire le temps passé en établissement pour des patients qui viennent jusqu’à trois fois par semaine en centre de dialyse. L’intervention chirurgicale peut s’organiser dans la même journée que la dialyse, à condition que l’état de fatigue de la personne le permette, note le Dr Armand Bourriez, chirurgien vasculaire à la clinique de l’Europe, Rouen.
Le Pr Corinne Vons, présidente de l'Association française de chirurgie ambulatoire (Afca), plaidait fin janvier 2016, durant le congrès de l’Afca, pour une cohérence entre la codification des actes médicaux par l’Assurance maladie d’une part, et le choix des actes éligibles à la chirurgie ambulatoire par le ministère de la Santé d’autre part. Elle soulignait l’importance d’un dialogue régulier avec les sociétés savantes concernées, afin d’éclairer ces décisions.
Malgré une politique volontariste de la part des pouvoirs publics en faveur de la chirurgie ambulatoire [ix], l’objectif d’une pratique majoritaire en 2016 reste difficile à atteindre. La Société de chirurgie vasculaire et endovasculaire (SCVE) entend contribuer à accélérer la dynamique déjà en place, dans le cadre d’un dialogue régulier avec les autorités. Des travaux comme l’étude médico-économique Ambuvasc montrent l’engagement des chirurgiens vasculaires dans le développement de la chirurgie ambulatoire. Pour répondre à une demande de la société et combler le retard français, ils sont disposés à élargir cette prise en charge à des opérations de plus en plus complexes, dans la mesure où les conditions optimales de sécurité seront réunies.
[Une grande partie des informations contenues dans ce communiqué proviennent de la session organisée par la SCVE le 29 janvier 2016 à Paris lors du Congrès européen de chirurgie ambulatoire organisé par l'Association française de chirurgie ambulatoire (Afca) et l’International association for ambulatory surgery (IAAS).]
Qu’est-ce que la chirurgie ambulatoire ?
La chirurgie ambulatoire est un mode de prise en charge permettant de raccourcir l’hospitalisation pour une intervention chirurgicale à une seule journée. La durée de séjour à l'hôpital peut alors aller de quelques heures à moins de 12 heures. Elle ne comprend donc pas d'hébergement et doit se faire uniquement au bénéfice de patients dont l'état de santé correspond à ce mode de prise en charge.[x] Pratique chirurgicale de référence pour les principaux pays occidentaux, la chirurgie ambulatoire a mis du temps à se développer en France [xi]. Son essor récent (en moyenne 1,7 point par an [xii]) sous l’impulsion d’une politique incitatrice [xiii] et de recommandations de la Haute Autorité de santé [xiv] peine toutefois à atteindre le taux de plus de 50 % des chirurgies fixé pour 2016 [xv]. En cause, un essor inégal selon les actes, les secteurs et les territoires [xvi].
Pourquoi développer la chirurgie ambulatoire ?
L’ambition du développement de la chirurgie ambulatoire repose sur deux promesses, l’une médicale, l’autre économique [xvii]. D’un côté, il y a l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins, notamment par la réduction du séjour hospitalier et du risque d’infections nosocomiales. De l’autre, il en résulte une baisse des coûts pour les établissements et donc pour l’assurance maladie. Des arguments soutenus par une attente essentielle, celle des patients : plus de 80 % [xviii] se déclarent en faveur du développement de ce type de prise en charge.
À propos de la SCVE
La Société de chirurgie vasculaire et endovasculaire de langue française (SCVE) a été créée en 1972 afin de contribuer à l'étude et aux progrès de la chirurgie vasculaire. Cette spécialité reconnue en France depuis 1980, permet une prise en charge médicale et chirurgicale des maladies artérielles et veineuses touchant les vaisseaux du corps humain - hormis le cœur. Société savante, interlocutrice des autorités de santé, la SCVE représente l’ensemble des chirurgiens vasculaires, à égale représentativité entre les hospitaliers et les libéraux. Elle émet des recommandations de bonne pratique et organise un congrès annuel pour promouvoir les travaux scientifiques de ses membres - après sélection anonyme par le comité scientifique - et les innovations technologiques de la profession. La SCVE remet également à cette occasion des Bourses destinées à aider les jeunes chirurgiens vasculaires dans leurs projets de recherche.
Pour plus d’informations : www.vasculaire.com
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[i] Résultats nationaux 2014 des taux de chirurgie ambulatoire par spécialité (Afca)
[ii] http://www.anap.fr/fileadmin/user_upload/l_anap/projets/chirurgie_ambulatoire/estimation_globale_gains_economiques_ANAP.pdf
[iii] Enquête IAAS - (2009) / Analyse de l’activité hospitalière – Atih – (2014)
[iv] Base nationale PMSI 2013
[v] Clinical and economic evaluation of ambulatory endovascular treatment of peripheral arterial occlusive lesions Goueffic Y, 2014
[vi] Outpatient endovascular aortic aneurysm repair: experience in 100 consecutive patients.Lachat ML, Pecoraro F, Mayer D, Guillet C, Glenck M, Rancic Z, Schmidt CA, Puippe G, Veith FJ, Bleyn J, Bettex D. Ann Surg 2013; 258: 754-759 /Potential clinical feasibilty and financial impact of same-day discharge in patients undergoing endovascular aortic repair for elective infrarenal aortic aneurysm. Moscato V.P., O’Brien-Irr M.S., Dryjski M.L., Dosluoglu H.H., Cherr G.S., Harris L.M. JVasc Surg 2015; 62: 855-861
[vii] Collier (1995) / Friedman (1995) / Jeffrey (1996) / Roddy (2000) / Hernandez (2002) / Study of Caen University Hospital (2000 – 2007)
[viii] Sur la faisabilité et la sécurité du traitement endovasculaire de l’anévrisme de l’aorte abdominale en ambulatoire :
- Ambulatory percutaneous endovascular abdominal aortic aneurysm repair. Dosluoglu H.H., Lall P., Bloche R., Harris L.M., Dryjski ML. J Vasc Surg 2014; 59: 58-64
- Outpatient endovascular aortic aneurysm repair: experience in 100 consecutive patients. Lachat ML, Pecoraro F, Mayer D, Guillet C, Glenck M, Rancic Z, Schmidt CA, Puippe G, Veith FJ, Bleyn J, Bettex D. Ann Surg 2013; 258: 754-759
[ix] Décret n°2012-969 du 20 août 2012
[x] Décret n°2012-969 du 20 août 2012
[xi] Étude internationale sur le développement de la chirurgie ambulatoire – IAAS - (1995)
[xii] Rapport sur les « perspectives du développement de la chirurgie ambulatoire en France » par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales - Juillet 2014
[xiii]Décret n°2012-969 du 20 août 2012
[xiv]Note d’orientation HAS / Anap (Décembre 2011)
[xv] http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2020011/fr/prise-en-charge-en-chirurgie-ambulatoire
[xvi] Rapport de la Cour des Comptes pour la Sécurité Sociale – (2013)
[xvii] Rapport sur les « perspectives du développement de la chirurgie ambulatoire en France » par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires sociales - Juillet 2014
[xviii] Sondage Ifop pour Générale de santé – « Les Français et l’ambulatoire : degré de connaissance et image » - mai 2014