Publié le : 28/02/2019 15:41:33
Chaque mois, nous vous proposons de plonger dans la grande histoire des hôpitaux. Quatrième épisode de cette saga historique, conçue en partenariat avec la Société française d'histoire des hôpitaux (SFHH) : la fin de l'Ancien Régime.
Hostiles à l’initiative individuelle et surtout religieuse, les philosophes des « Lumières » préconisent l’organisation des services hospitaliers, non selon la volonté des fondateurs, mais par l’État lui-même. Le Comité de Mendicité de l’Assemblée constituante (1789-1791), créé en janvier 1790, présidé par le duc La Rochefoucauld-Liancourt, son membre le plus actif, prépare un projet devant remplacer la charité par l’assistance. L’idée maîtresse est la reconnaissance d'une sorte de dette sociale de l'État ou de la collectivité nationale envers les plus fragiles avec, cependant, des contreparties comme l’exigence d’un travail en échange de l'aide fournie, au moins pour ceux qui peuvent l'assumer. Sinon, le droit à l'assistance concerne principalement ceux qui se trouvent dans l'incapacité de subvenir à leurs besoins, les vieillards notamment.
Mais l’Assemblée, trop absorbée par sa tâche constitutionnelle, « laisse à la législature suivante le soin de remplir cet important devoir ». L’Assemblée législative (octobre 1791-septembre 1792) chargera un Comité des Secours publics de proposer un plan qui n’aura pas davantage de suite.
Entre-temps, dans les méandres des orientations et de la législation révolutionnaires parfois difficiles à suivre, le décret du 28 octobre 1789 supprime les vœux en religion, ce qui a pour effet de tarir le recrutement de postulants, hommes et femmes. La loi du 13 février 1790 abolit les vœux monastiques perpétuels et supprime les ordres réguliers hors ceux ayant pour activité l’éducation et les œuvres de charité, conduisant à la mise à l’écart de cent mille religieux, soit les deux-tiers du clergé en France. Enfin, la loi du 5 novembre 1790 supprime toutes les communautés et les ordres religieux dont les collections de livres précieux vont enrichir la bibliothèque de France, par le biais des confiscations. Cette loi réserve cependant une faveur aux sœurs hospitalières, tant elles sont précieuses dans les hôpitaux : elles ne peuvent « quitter leurs maisons sans en avoir prévenu les municipalités six mois à l’avance ou sans un consentement par écrit desdites municipalités. » Beaucoup d’entre elles maintinrent ainsi leur service. C’est ainsi, parmi d’autres, que les Filles de la Sagesse ne sont pas chassées de l’hôpital de Brest, en dépit de conditions de maintien très difficiles. Mieux, cet établissement leur sert de refuge et permet à la congrégation, non seulement de se maintenir, mais aussi de repartir de plus belle dès la fin de la Révolution. À Orange, la congrégation n’est pas inquiétée et restera dans l'hôpital jusqu'en 1948.
Les religieux des ordres masculins sont remplacés par des laïcs qu’on essaie avec difficulté de recruter et de payer. Le décret du 18 août 1792 donne le coup de grâce aux corporations religieuses en les déclarant éteintes, « même celles uniquement vouées au service des hôpitaux et au soulagement des malades ». Distinguant cependant la vocation de la fonction, l’article 2 du décret prévoit que « néanmoins [...] les mêmes personnes continueront comme ci-devant le service des pauvres et le spin des malades à titre individuel ». Mais, pour remplacer les religieux qui s’en vont, les révolutionnaires ne trouvent guère de personnels qualifiés, ni de financement.
Les revenus des hôpitaux avant et après 1789
À propos des subventions versées par l’État après la vente des biens hospitaliers et la suppression de nombreux droits et privilèges ce fut le Comité des Secours publics qui fut chargé d’allouer des subsides aux administrations hospitalières en détresse, tant sous le mandat de l’Assemblée législative que de la Convention Nationale.
Les fonds des divers hôpitaux produisaient à la fin de l’Ancien Régime un revenu annuel de 29 074 664 livres, alors qu’ils n’en ont plus, fin 1790, que 18 744 349. Dans le même temps, d’une part les générosités privées se tarissent presque complètement : les troubles sont peu propices à la générosité, comme le souligne, en substance, un mémoire du temps, d’autre part toutes les exemptions d’impôts dont bénéficiaient les hôpitaux sont supprimées.
Les hôpitaux saisissent l’opportunité de la loi du 2 mars 1791 qui instaure la liberté du commerce et de l’industrie pour vendre des médicaments, en dépit des plaintes et procédures des pharmaciens établis ; ce n’est qu’en 1894 que la loi sur l’exercice de la pharmacie supprimera définitivement cette pratique du commerce des médicaments hospitaliers tout en maintenant le droit de leur distribution à titre gratuit.
Le budget de l’État n’est pas en mesure de compenser la suppression, au nom de l’idéal révolutionnaire, d’une grande partie des ressources habituelles des hôpitaux. La Convention nationale (septembre 1792 - octobre 1795), reprenant l’idée du Comité de Mendicité, décide que l’assistance constitue une charge d’État et nationalise, par la loi du 23 messidor de l'an II (11 juillet 1794), les biens hospitaliers. Cependant, pour assurer les dépenses générales de l’État et pourvoir à l’effort de guerre, et en attendant qu’il n’y ait plus d’hôpitaux (!), les trois-quarts de ces biens sont bradés, sans attendre « l’organisation complète, définitive et en pleine activité des secours publics », comme le prévoyait pourtant la loi. La décision se révèle tellement catastrophique pour les hôpitaux qu’elle sera suspendue par la Convention le 25 août 1795 (9 fructidor an III). Une innovation reste cependant à l’actif des Conventionnels du fait de la nationalisation des hôpitaux : peu importe désormais l’origine du malade ; il doit être reçu dans l’hospice le plus proche. L’assistance se trouve ainsi reconnue à l’échelon national à tout citoyen, quel que soit son état et ses ressources.
Les conceptions des « Lumières » battues en brèche, le Directoire (octobre 1795 - septembre 1799) confie aux communes la responsabilité de la gestion des hôpitaux : c’est la loi du 16 vendémiaire an V (7 octobre 1796) qui crée les hospices civils municipalisés, loi qui sera complétée par l’ordonnance du 8 février 1823. Ceux-ci sont gérés par une commission administrative établissant une liste des indigents à admettre, en particulier les vieillards. Toutefois, en application de l’article 4 de la loi du 16 vendémiaire, les établissements destinés aux aveugles et aux sourds-muets restent « à la charge du trésor national ».
Pour compenser les spoliations, les hôpitaux doivent recouvrer leurs biens déclarés nationaux non encore vendus ou recevoir d’autres biens en contrepartie équivalente. Ainsi, l’État lègue-t-il aux Hospices civils de Bordeaux le Théâtre de Bordeaux qui avait été inauguré en 1788. Le budget des hôpitaux devient une ligne du budget de la commune. Une commission de cinq citoyens (ancêtre de l’actuel conseil de surveillance qui a remplacé en 2009 le conseil d’administration des hôpitaux) préside à la gestion de l’établissement ; elle nomme un receveur qui deviendra un comptable du Trésor par une loi de 1822.
Le Consulat va ensuite investir le préfet de la tutelle sur les hôpitaux (disposition en vigueur jusqu’à l’ordonnance Juppé de 1996) et donner au maire, en 1801, la présidence de la commission des cinq citoyens (disposition en vigueur jusqu’à la loi HPST précitée ; depuis 2009, le président du conseil de surveillance est élu).